Document URFIG - Analyse relative à l'OMC
OMC :
UN MOIS AVANT LA CONFERENCE MINISTERIELLE
L’EMPIRE
OCCIDENTAL DANS SES OEUVRES
Jamais,
comme en ce début de 21e siècle, le monde n’a été aussi profondément
divisé. Jamais l’écart entre le niveau de vie des pays industrialisés et
celui des pays en développement n’a été aussi grand. Jamais le fossé entre
le Nord et le Sud n’a été aussi large. Jamais l’opposition entre
gouvernements du Nord et gouvernements du Sud n’a été aussi frontale, un
mois jour pour jour avant l’ouverture de la 4e conférence ministérielle de
l’Organisation Mondiale (OMC) du Commerce, prévue à Doha, capitale du Qatar.
De cette
situation catastrophique pour la communauté humaine, les pays industrialisés
portent la première responsabilité. Ils ont délibérément compromis la
formidable chance offerte par la fin de la guerre froide et la division du monde
en deux blocs idéologiques. Au lieu de mettre en place un nouvel ordre mondial
basé sur le droit et la solidarité, l’idéologie victorieuse, portée par
les Etats-Unis et l’Union européenne, a voulu imposer ses dogmes. Ce furent
les Accords de Marrakech, signés en 1994 au terme de l’Uruguay Round. Accords
déséquilibrés, créant des obligations pour les pays en développement dont
se sont exemptés les pays riches. Accords appliqués de manière déséquilibrée
par une OMC résolument au service des pays riches et de leurs firmes
supranationales.
Depuis
Seattle, où ils ont refusé un nouveau cycle de négociations mettant davantage
encore de matières sous la coupe de l’OMC, les pays en développement, qui
forment l’écrasante majorité des 142 Etats membres de l’OMC, ont, semaine
après semaine à Genève, demandé qu’un engagement pris à Marrakech soit
tenu : une évaluation des accords existants au regard de leur impact
socio-économique, environnemental et culturel et une révision de ceux-ci en
conséquence. Union européenne et USA en tête, les pays riches ont opposé,
systématiquement, le plus catégorique des refus.
Ce refus
vient encore d’être exprimé avec éclat, le 19 septembre à Genève, où les
Etats-Unis, avec brutalité, et l’Union européenne, à travers l’hypocrisie
d’un document à l’allure généreuse,
ont refusé toute modification de l’Accord sur les droits de propriété
intellectuelle, modification demandée par les pays en développement afin de
garantir l’accès aux médicaments essentiels. Pour l’Occident, il s’agit
avant tout de protéger les plantureux bénéfices des entreprises
pharmaceutiques.
Non
seulement, les pays riches refusent de reconnaître l’échec de leurs dogmes
sur l’immense majorité de la planète, mais ils persévèrent avec une
arrogance qui dément leurs propos de circonstance sur la lutte contre la
pauvreté. L’Union européenne a pris la tête d’une campagne effrénée en
faveur d’un nouveau cycle de négociations portant sur les matières les plus
larges afin d’étendre à l’ensemble de la planète le libre-échange le
plus radical, c’est-à-dire le droit du plus fort à étrangler le plus
faible. Leur régulation du commerce mondial se traduit en fait par une dérégulation
planétaire créant pour les entreprises du Nord le plus vaste espace jamais
ouvert à leur rapacité : le globe tout entier.
Toutefois,
ils rencontrent une résistance à laquelle leur suffisance ne les avait pas préparés :
fin juin, puis fin juillet, lors de réunions organisées à l’OMC à
Genève, il est apparu clairement qu’aucun accord entre pays riches et pays en
développement n’était atteint sur le principe d’un nouveau round. Fin
juillet, sur les 20 matières que l’Union européenne veut inclure dans ce
nouveau round, le consensus nécessaire n’a pu être atteint malgré les
pressions en tous genres exercées par la Commission européenne et certains
gouvernements qui passent ces désaccords sous silence et dissimulent à leurs
propres opinions publiques leurs comportements néo-colonialistes. Fin juillet,
les 49 pays les plus pauvres, réunis en conférence en Tanzanie, se sont déclarés
opposés à un nouveau round. A Abuja (Nigéria), le 24 septembre, en dépit de
multiples tentatives, en particulier de la Commission européenne, pour les
faire changer d’avis, les ministres africains unanimes ont réitéré cette
position.
L’Afrique,
d’une même voix, déclare que « les pays africains ne sont pas
demandeurs de nouvelles négociations multilatérales sur de nouvelles matières ;
qu’ils ne sont pas en mesure de remplir les obligations qui découleraient de
ces négociations ; qu’ils ne sont pas convaincus que la libéralisation
de ces nouvelles matières leur serait profitable ; qu’ils sont préoccupés
par les obligations supplémentaires et par les dangers d’un accroissement des
compétences de l’OMC ; qu’il n’y a aucun consensus parmi les membres
de l’OMC pour lancer de telles négociations et que les différents groupes de
travail au sein de l’OMC doivent poursuivre leurs études à ce propos. »
En Asie,
l’Inde a répété son hostilité à tout nouveau round. Réunis à Bangkok le
28 septembre, 33 pays d’Asie et du Pacifique ont dénoncé le caractère
ambigu des documents présentés par l’OMC en vue de la prochaine conférence
ministérielle et ont déclaré qu’ils préféraient une renégociation des
Accords de Marrakech à tout nouveau round.
De cette
résistance massive aux exigences des pays riches, l’Union européenne n’a
cure. Pas plus que les Etats-Unis et les autres pays industrialisés. Avec la
complaisance voire la complicité des media, ils pratiquent un silence de plomb
sur les positions des pays en développement et ne manquent aucune occasion de
faire croire à leurs opinions publiques que leur point de vue est partagé par
les pays du Sud et que l’opposition ne vient que des « irresponsables »
occidentaux qui militent au sein des ONG.
Certes,
on entend depuis peu certains partis politiques sociaux-démocrates, inquiets du
succès des manifestations anti-globalisation, dire qu’ils veulent « humaniser
la mondialisation. » Mais
dans le même temps, ils continuent de soutenir le mandat confié à la
Commission européenne qui va exactement en sens inverse. Comme si ceux qui
furent les défenseurs du colonialisme et les protagonistes des guerres
coloniales pouvaient être crédibles lorsqu’ils parlent d’humanisme !
Leur humanisme n’est que l’arrogante conviction d’une prétendue « mission
civilisatrice de l’Europe. »
Le 26
septembre, les pays riches ont franchi une nouvelle étape. Ils ont inspiré
deux documents préparés par l’OMC qu’ils espèrent faire adopter par la
prochaine conférence ministérielle. Le premier est le projet de déclaration
ministérielle qui devrait officiellement ouvrir le nouveau round. Aucune des
attentes formulées par les pays du Sud n’est prise en considération. Toutes
les demandes des pays riches sont intégrées dans le texte. Le second est un
projet de texte au statut incertain dans lequel on exprime de vagues promesses
quant à une éventuelle procédure d’examen de la mise en oeuvre des accords
existants.
Ces deux
textes ont été reçus comme une « sale gifle » (« a dirty
slap ») par les pays en développement. Réagissant au nom des 49 Pays les
Moins Avancés (PMA), l’ambassadeur de Tanzanie auprès de l’OMC a rappelé,
le 2 octobre, que les PMA ne sont pas préparés pour un nouveau round et
qu’ils ne sont pas en mesure de participer à de telles négociations, ni à
remplir les obligations qui en découleraient. L’ambassadeur de Malaisie a
demandé que les pays riches cessent d’exercer des pressions en tous genres
sur les pays en développement.
Sans
doute soucieux de se servir de l’atmosphère du moment, le commissaire européen
Pascal Lamy a, quant à lui, déclaré sans rire, le 1 octobre, qu’ « un
nouveau round aiderait à combattre le terrorisme »…
La
duplicité des pays européens est sans limite. Nos gouvernements tiennent des
propos lénifiants sur la lutte contre la pauvreté tout en adoptant, là où se
prennent les décisions, des positions qui accroissent la pauvreté et la dépendance
des peuples du Sud à l’égard du Nord.
Il est urgent de placer chacun de nos parlementaires, chacun de nos ministres devant leurs responsabilités. Car, en dernier ressort, c’est dans chaque pays qu’est décidée la politique conduite par l’Union européenne et par l’OMC.
Dr Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité (Bruxelles) et de l’URFIG (Paris)
9 octobre 2001