Document URFIG - Analyse relative à l'OMC

 

 

 

 

 

L’INVESTISSEMENT ET L’OMC

 

(Dr Raoul Marc JENNAR, 21 septembre 2002)

 

 

Investir est une activité qui ne connaît pas les frontières nationales.

 

Cette activité est généralement décrite comme un puissant facteur de création d’emplois et de développement. Mais on est en droit de se demander, en particulier suite aux phénomènes de délocalisations et de fermetures d’entreprises performantes et rentables, si l’objectif d’un investissement est la création d’une activité ou plutôt la recherche du profit optimal en instaurant une sorte de compétition basée sur une comparaison entre les faiblesses respectives des Etats dans le domaine des législations sociales et environnementales.

 

Cette activité avait fait l’objet d’une première réglementation dans le cadre du GATT (Accord Général sur les Tarifs douaniers et le Commerce, en vigueur de 1948 à 1994) sous la forme d’un « Accord général se rapportant aux effets de  restriction et de distorsion des échanges exercés par les mesures concernant les investissements ». Il s’agissait d’éviter que des mesures nationales en matière d’investissements entrainent des discriminations entre investisseurs, quelles que soient leurs origines. Dans le cadre du GATT, cet Accord n’avait pas de force obligatoire.

 

Lors de la conférence de Punta del Esta qui a lancé l’Uruguay Round, il fut décidé d’entamer des négociations pour  élaborer des mesures nouvelles de nature à empêcher plus et mieux ces discriminations. C’est l’origine d’un des accords aujourd’hui administrés par l’Organisation Mondiale du Commerce (qui a pris la suite du GATT) qui a pour nom « Accord sur les mesures concernant les investissements et liées au commerce. » (Accord sur les MIC). Il figure dans l’ensemble des Accords de Marrakech signés en avril 1994 et il est entré en vigueur le 1er janvier 1995.

 

ACCORD SUR LES MIC

 

Cet Accord s’applique uniquement aux mesures qui affectent le commerce des marchandises. Il s’agit de mettre en pratique la règle de non-discrimination qui est à la base des accords de l’OMC et qui se concrétise par deux principes :

a)      le principe du « traitement national » qui fait obligation à un pays d’accorder aux autres le même traitement qu’à ses propres ressortissants (personnes privées, personnes morales, entreprises privées, services publics,…) ;

b)      le principe du « traitement de la nation la plus favorisée » qui fait obligation à un pays de ne pas faire de discrimination entre ses partenaires commerciaux nationaux ou étrangers.

 

En outre, l’Accord oblige les Etats membres à éliminer les restrictions quantitatives imposées aux investisseurs. Afin d’éviter les ambiguités, l’Accord fournit des exemples de législations ou de réglementations nationales inacceptables et contraires au traitement national ou à l’obligation d’éliminer les restrictions quantitatives :

 

-         contraires au traitement national :

 

a)      obliger un investisseur à acheter ou à utiliser des produits nationaux

b)      limiter le droit d’un investisseur à importer des produits étrangers à la valeur ou au montant des produits qu’il exporte

 

-         contraires à l’obligation d’éliminer les restrictions quantitatives :

 

a)      limiter l’importation par un investisseur de produits servant à la production locale à la valeur ou au montant des produits qu’il exporte

b)      limiter l’importation par un investisseur de produits servant à la production locale en limitant l’accès de cet investisseur aux devises

c)      limiter l’exportation par un investisseur de produits déterminés.

 

Pour rendre contraignantes les dispositions de cet Accord, un Comité de l’OMC surveille son respect  par les Etats membres. L’Organe de Règlement des Différends de l’OMC (ORD) est compétent pour traiter des plaintes qu’un Etat déposerait contre un autre Etat défaillant.

 

Les pays développés disposaient de deux ans (fin 1996) pour éliminer les mesures adoptées contraires à l’Accord, les pays en développement de quatre ans (fin 1999) et les pays les moins avancés de sept ans (fin 2002). L’Accord prévoit également qu’à partir de janvier 2000, les Etats membres examineront la possibilité de compléter ces dispositions.

 

En matière d’investissement, il est important d’ajouter qu’un autre des Accords de Marrakech, l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) constitue lui aussi un instrument à prendre en compte dans la mesure où il règle la présence et les droits des fournisseurs de services à l’étranger (ce qu’on appelle, dans le jargon, « le mode 3 »). Ceux-ci doivent bénéficier de la non discrimination et du traitement national.

 

La conjonction de l’Accord sur les MIC et de l’AGCS offre un exemple, parmi d’autres, de la force des Accords de Marrakech : ils se recoupent, ils se chevauchent de telle sorte que si l’objectif de libéralisation absolue n’est pas atteint par le biais d’un sujet, on soit assuré qu’il puisse l’être sous un autre angle d’approche.

 

Enfin, les pays industrialisés demandent avec insistance que s’ouvre une négociation sur la transparence des marchés publics et l’accès des investisseurs étrangers – y compris les prestataires de services – à ces marchés.

 

MATIERE DE SINGAPOUR, DE DOHA ET DE CANCUN

 

Deux ans à peine après l’entrée en vigueur de l’Accord sur les MIC, à l’occasion de la première conférence ministérielle de l’OMC qui se tenait à Singapour, et alors que cet Accord n’était pas encore applicable aux pays hors OCDE, les pays industrialisés demandaient déjà que commencent des négociations nouvelles sur l’investissement et sur les marchés publics. Les pays en développement (PVD) et les pays les moins avancés (PMA) s’y opposèrent et concédèrent seulement la création d’un groupe de travail sur cette question.

 

En 1998, une négociation sur un projet d’Accord Multilatéral sur l’Investissement (AMI), préparé par l’OCDE, échouait à la suite d’une mobilisation sans précédent du mouvement social.

 

Un an plus tard, lors de la définition du mandat confié par les quinze gouvernements européens à la Commission européenne, négociateur unique à l’OMC, pour la conférence ministérielle de Seattle,  la Commission proposait que l’investissement et les marchés publics soient des matières nouvelles devant faire partie du programme d’un nouveau cycle de négociations destiné à étendre le champ de la libéralisation et des matières de la compétence de l’OMC. Cette proposition fut acceptée par les Quinze.

 

Comme la conférence de Seattle n’a débouché sur aucun accord, et comme les Quinze ont confirmé en tous points le mandat de la Commission européenne pour la conférence suivante qui s’est tenue à Doha (Qatar) en novembre dernier, M. Pascal Lamy, le Commissaire européen en charge du commerce international, s’est battu bec et ongle pour que l’investissement et les marchés publics fassent, avec d’autres problématiques proposées par l’Union européenne (comme par exemple la privatisation des biens et services environnementaux), partie des matières à négocier dans un nouveau cycle de négociations qui a commencé au début de cette année.

 

A Doha, comme à Singapour, puis à Seattle, tous les PVD et PMA étaient hostiles à inclure l’investissement et les marchés publics dans le programme de la nouvelle négociation. Des pressions considérables ont été exercées par les pays industrialisés pour arriver à leur fin. Dans un contexte où les pays riches étaient unis, où les procédures ne furent guère démocratiques, où les marchandages en tous genres furent nombreux et où le climat consécutif au 11 septembre et à la guerre en Afghanistan pesait lourdement – même le directeur général de l’OMC a reconnu que sans ce climat, la conférence aurait été un nouvel échec – la résistance des pays du Sud s’est peu à peu effilochée. Pourtant, grâce à l’obstination de quelques délégations du Sud, la décision d’entamer les négociations sur ces questions a été reportée à la prochaine conférence ministérielle qui se tiendra en septembre de l’an prochain à Cancun (Mexique) après que les délégués, par un consensus explicite, se soient prononcés sur les modalités de la négociation.

 

UNE ARME POUR LA RECONQUETE POST-COLONIALE

 

Les points 20 à 22 de la déclaration ministérielle de Doha précisent les objectifs de la négociation future. Il est important de souligner que :

 

1.      c’est d’investissements transfrontières dont on parle. Dans une note déposée en avril dernier à l’OMC par la Commission européenne au nom des 15 Etats membres, l’Europe souligne que, conformément au point 20, ce qui la préoccupe au premier chef ce sont les investissements étrangers directs, c’est-à-dire les investissements que peuvent effectuer des entreprises européennes dans des pays hors Europe. Comme le souligne la note, « le concept d’investisseurs étrangers directs inclut toutes les personnes ou firmes des Etats membres, y compris les firmes privées et publiques, associées ou non, qui s’engagent dans un investissement direct sous quelle que forme que ce soit ». En clair, tous les acteurs économiques du Nord, doivent pouvoir bénéficier des dispositions relatives aux investissements.

2.      La négociation devra porter sur la portée du nouvel accord et les définitions, la transparence, la non-discrimination, les services, la dimension développement, les exceptions et les clauses de sauvegarde.

 

Les discussions en cours dans le groupe de travail de l’OMC permettent d’identifier les différentes positions :

 

-         un groupe de 15 pays (Cuba, Egypte, Honduras, Inde, Indonésie, Jamaïque, Kenya, Malaisie, Maurice, Pakistan, République Dominicaine, Sri Lanka, Tanzanie, Ouganda et Zimbabwe) s’oppose à l’ouverture de négociations après Cancun ;

-         l’Union européenne demande que des pré-négociations soient entamées dès à présent ;

-         les USA soutiennent la décision de Doha pourvu que les négociations commencent dès après Cancun.

 

D’une manière générale, les délégués des PVD et PMA à l’OMC déplorent les pressions des pays riches pour faire avancer ce dossier.

 

L’enjeu des négociations à l’OMC est rien moins que le pouvoir donné aux investisseurs des pays riches d’opérer sans la moindre contrainte dans les pays de leur choix en s’appuyant sur les deux principes de non-discrimination qui sont à la base des accords de l’OMC : le traitement national et le traitement de la nation la plus favorisée.

 

Ce sont précisément ces principes qui justifient la critique massive des PVD et des PMA à l’égard de l’OMC et des accords qu’elle administre. En effet, la mise en oeuvre de ces principes signifie la négation des différences de situation et de développement. Elle instaure une dérégulation globale qui enlève aux Etats tout pouvoir de choisir leur politique de développement, leurs priorités.

 

La règle de non-discrimination est en fait un instrument qui détruit la souveraineté des Etats et ramène à la période coloniale. Appliquée à la problématique de l’investissement, elle fournit aux pays riches un accès sans limites, sans restrictions, sans contraintes auquel la décolonisation avait mis partiellement fin. Les pays du Sud ne sont pas opposés au commerce international, ni aux investissements pourvu qu’ils respectent les choix et les besoins, forcément différents, de chaque pays.

 

Dr Raoul Marc JENNAR

21 septembre 2002