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Campagne AGCS - 09-02-03
SUR LE COMMERCE DES SERVICES
(Dr Raoul Marc JENNAR, 17 décembre 2002)
L’AGCS
est un des 60 textes qui constituent les « Accords
de Marrakech », signés en 1994 au terme de l’Uruguay Round, le
dernier des cycles de négociations commerciales organisés dans le cadre de
l’Accord Général sur les Tarifs et le Commerce (GATT).
Avec
les Accords de Marrakech, on est entré dans une transformation globale des
rapports en tous genres qui régissent la vie des humains. La doctrine qui
s’impose au travers de ces accords est celle du libre échange absolu. Les
rapports humains sont assimilés à des rapports marchands. Il sont donc soumis
aux règles du commerce qui exigent l’absence de toute forme de
discrimination, c’est-à-dire l’absence de toute prise en considération des
particularités individuelles ou collectives.
Pour
ce faire, tous les acteurs doivent obéir à la règle du
traitement de la nation la plus favorisée : chaque pays doit accorder,
sans condition, aux acteurs étrangers un traitement identique à celui qu’il
accorde aux acteurs nationaux (art 2).
A
terme, plus aucun Etat n’aura le droit de mettre en oeuvre des politiques
industrielles, économiques ou commerciales spécifiques, qui tiennent compte
des particularités, des besoins et des priorités nationales. C’est vrai dans
les pays riches, ce l’est encore plus dans les pays en développement. Tous
les Etats devront renoncer à leur législations propres et soumettre leurs
ressortissants aux règles du commerce mondial qui privilégient ipso
facto les plus puissants.
Cette
doctrine inspire tous les accords gérés par l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) qui a succédé au GATT. L’OMC est aujourd’hui
l’organisation internationale la plus puissante du monde parce qu’elle
concentre le pouvoir de faire les règles, de les appliquer et de sanctionner
les pays qui ne les respectent pas, parce que les règles qu’elle gère dépassent
très largement les questions strictement commerciales et parce que l’OMC
fonctionne dans des conditions d’opacité et d’oligarchie qui soumettent les
pays qui en sont membres à la volonté des plus puissants (Europe, Etats-Unis,
Japon, Canada). Avec l’OMC, le droit de la concurrence l’emporte sur tous
les autres droits et en particulier les droits économiques et sociaux reconnus
aux citoyens par les dispositions constitutionnelles ou légales adoptées dans
le cadre national ou les principes arrêtés dans le cadre de pactes
internationaux.
L’AGCS est l’instrument juridique international par lequel, au sein de l’OMC, les pays industrialisés entendent appliquer radicalement la doctrine du libre échange au secteur tertiaire, le secteur de la vie économique et sociale qui regroupe l’ensemble des services (services gérés par le secteur privé, services gérés par la puissance publique ou services dont la prestation est confiée par le secteur public à des acteurs privés subventionnés à cet effet). Tous les Etats membres de l’OMC sont tenus d’appliquer les dispositions contenues dans l’AGCS.
Quels
services ?
L’AGCS
définit les services comme suit : « les
services comprennent tous les services de tous les secteurs, à l’exception
des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental »
(art.1). C’est la définition que donnent les gouvernements européens et la
Commission européenne lorsqu’ils veulent faire croire que les services
publics ne sont pas concernés par l’AGCS. En se bornant à cette partie de la
définition, ils trompent la population, car le texte de l’AGCS précise
qu’il faut entendre par un « service
fourni dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », un « service
qui n’est fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou
plusieurs fournisseurs de services » (art 1). Il est clair que les
services dans les domaines de l’éducation, de la santé, de l’environnement
sont aujourd’hui, dans presque tous les pays, en concurrence entre un secteur
public et un secteur privé. Dès lors, l’AGCS s’applique bien à la quasi
totalité des services.
Un
marché lucratif
Il
est important de garder en mémoire que les principaux secteurs de services, en
termes de marchés, représentent :
-
3.500 milliards de US dollars pour la santé ;
-
2.000 milliards de US dollars pour l’éducation ;
-
1.000 milliards de US dollars pour l’eau.
Les
modes de fourniture des services
Pour
être bien certain de couvrir tous les types de services, l’AGCS distingue
quatre modes de fourniture de services (art. 1):
Le
mode 1 :
les services transfrontaliers : les services fournis sur le territoire
d’un Etat et qui sont fournis également sur le territoire d’un autre Etat
(par exemple la fourniture en Belgique d’électricité produite en France, ou
l’inverse).
Le
mode 2 :
la consommation transfrontalière de services : le service est fourni sur
le territoire d’un Etat à un consommateur provenant d’un autre Etat (par
exemple, un Belge se rend en France et fait appel aux services d’un hôtel
français ou d’un banque française).
Le
mode 3 :
l’établissement d’une présence commerciale : un fournisseur de
services d’un Etat installe dans un autre Etat une branche, une succursale ou
une représentation (par exemple, ElfTotalFina décide d’installer une
raffinerie en Birmanie en vertu de la loi birmane).
Le
mode 4 :
le mouvement des personnes physiques : lorsqu’un être humain d’un Etat
se rend dans un autre Etat pour prester ou fournir un service dans le cadre
d’un emploi à durée limitée (par exemple, un informaticien indien engagé
par une firme en Allemagne pour un contrat de cinq ans).
Les
pouvoirs publics soumis à l’OMC
Outre
les obligations communes à tous les accords de l’OMC relatives au traitement
de la nation la plus favorisée, des obligations générales et des obligations
spécifiques sont ajoutées dans
l’AGCS :
a)
obligations générales :
-
la
transparence :
chaque Etat membre de l’OMC doit communiquer à tous les autres l’ensemble
de ses lois et réglementations (au niveau national comme au niveau des pouvoirs
subordonnés) concernant les services et les adaptations qui leur sont apportées pour
se conformer aux décisions de l’OMC (art. 3);
-
la réglementation
intérieure :
les lois et les règlements adoptés dans un Etat en matière de qualification
(ex : les critères définissant l’eau potable ou les normes de sécurité
en matière de transport) ne pourront en aucune façon être « plus
rigoureuses qu’il est nécessaire », l’OMC se réservant de déterminer
des « disciplines » pour
empêcher que ces réglementations ne constituent « des obstacles non nécessaires au commerce des services »
(art. 6). Ces disciplines pourront interdire des dispositions réglementaires
ou fiscales qu’un gouvernement prendrait afin d’obliger un fournisseur privé
d’un service donné de garantir l’accès de tous à ce service (par ex :
distribution d’eau ou d’électricité). Des à présent , l’OMC a identifié
des réglementations jugées « plus rigoureuses que nécessaires » qui
seraient imposées à un fournisseur privé : des limitations à la redevance
pour l’eau, le gaz ou l’électricité pour des personnes nécessiteuses ;
des exigences qualitatives ; des autorisations et des exigences
d’institutions locales, provinciales ou régionales ayant compétence dans tel
ou tel secteur de services ; des exigences de qualification professionnelle
ou d’expérience professionnelle.
b)
obligations spécifiques :
Lorsqu’un
pays aura pris des engagements spécifiques quant à l’accès à son
marché national de fournisseurs de services, alors il devra se soumettre
à deux autres règles :
-
la règle d’un accès égal au
marché (art. 16) : ce pays ne pourra plus limiter, sous quelle que
forme que ce soit,
a)
le nombre de fournisseurs de services
b)
la valeur totale des transactions ou avoirs en rapport avec les services
c)
le nombre total des opérations ou la quantité totale des services
produits
d)
le nombre total des personnes employées
e)
les types spécifiques d’entité juridique
f)
la participation de capitaux étrangers.
-
la règle du traitement national (art
17) : chaque pays doit accorder à tous les autres le même traitement qu’à
ses propres ressortissants (personnes privées, personnes morales, entreprises
privées, services publics,…). Ce qu’un pays autorise aux entreprises d’un
autres pays, il doit l’autoriser à toutes les entreprises de tous les pays
membres de l’OMC.
Ces
obligations spécifiques ont des conséquences importantes :
a)
quand un pays prend un engagement d’accorder, sans restrictions, un accès au
marché aux fournisseurs de services, cela signifie qu’il doit renoncer au
monopole de service public dans les secteurs concernés ;
b)
quand un pays prend un engagement d’accorder sans restriction le traitement
national à un secteur de services (par ex. la santé), cela signifie que dans
ce secteur, toute forme de distinction entre secteur marchand et secteur
non-marchand doit disparaître, car il est interdit d’accorder à des
services de ce secteur des prêts, des garanties sur prêts, des dons ou quoi
que ce soit qui pourrait altérer la libre concurrence.
La
fin du libre choix démocratique : les engagements
Pendant
les périodes de négociation, les gouvernements peuvent déposer une liste
d’engagements spécifiques. Ce fut le cas pendant la négociation de l’AGCS
lui-même (avant sa signature), c’est de nouveau le cas dans le cadre du présent
cycle de négociations. Le gouvernement qui décide de déposer une telle liste
précise pour chaque secteur de service les modalités, limitations et
conditions concernant l’accès au marché et les conditions et restrictions
concernant le traitement national. Il s’agit en fait d’inscrire sur une
liste le degré accepté de libéralisation d’un service.
Les
conséquences de ces engagements mettent fin au libre choix démocratique. En
effet, les règles relatives à l’accès au marché et au traitement national
vont enlever aux institutions démocratiques tout pouvoir d’adopter des
politiques conformes aux besoins particuliers de la localité, de la province,
du département, de la région ou de l’Etat.
En
outre, une fois un engagement pris, il est irréversible. En
effet, l’article 21 de l’AGCS précise que tout Etat qui voudrait modifier
ses engagements dans un sens qui ne va pas vers plus de libéralisation aurait
à négocier avec les 143 autres Etats membres de l’OMC des compensations
financières qu’ils seraient en droit d’exiger. En cas de désaccord,
c’est l’organe de règlement des différends de l’OMC qui trancherait. Ce
qui signifie très clairement que les citoyens, au travers des élections,
n’ont plus la possibilité de renverser les choix d’un gouvernement dont les
conséquences se seraient avérées dommageables pour la collectivité.
Une
procédure sans fin, mais un calendrier précis
L’objectif
de l’AGCS est la libéralisation progressive de tous les secteurs de tous les
services au cours de « négociations successives qui auront lieu périodiquement en vue d’élever
progressivement le niveau de libéralisation »(art. 19).
Et pour garantir que chaque série de négociations provoque de nouvelles
avancées dans la libéralisation, l’AGCS stipule que « le
processus de libéralisation progressive sera poursuivi à chacune de ces séries
de négociations » (art 19).
L’AGCS
prévoit que la première série de négociations commencera cinq ans après
l’entrée en vigueur de l’accord. Elles ont effectivement commencé en février
2000, au siège de l’OMC à Genève. Lors de la conférence ministérielle de
l’OMC, à Doha, en novembre 2001, un coup d’accélérateur a été donné :
a)
chaque Etat membre a du remettre, le 30 juin 2002, les demandes qu’il
formule à l’égard des autres Etats en matière de libéralisation des
services dans ces Etats.
b)
chaque Etat membre devra faire connaître, le 30 mars 2003, les services
qu’il est disposé à libéraliser sur son territoire.
c)
des négociations en vue de libéraliser les biens et les services
environnementaux (eau, énergie, déchets,…) devront être terminées pour le
1 janvier 2005.
Des
négociations commenceront ensuite à Genève en vue de concilier les offres et
les demandes de services avec pour objectif une formidable avancée du processus
de libéralisation.
Un
processus opaque et non démocratique
Il
est important de souligner que ces procédures se déroulent dans le plus grand
secret.
Secret
à Genève, secret à la Commission européenne, secret au sein de chaque
gouvernement. Mais pas pour tout le monde : le secteur privé des services
est étroitement associé à la préparation et au suivi des négociations.
Quant
aux représentants démocratiquement élus des citoyens, dans chaque parlement
national comme au parlement européen, ils sont totalement tenus à l’écart
des décisions prises et de celles qui se préparent, comme ils sont maintenus
à l’écart des choix fondamentaux de société qu’impliquent ces négociations.
Aucun
débat démocratique préalable à ces choix fondamentaux n’est organisé.
Ceux qui incarnent la souveraineté des peuples sont réduits à accepter ou
refuser le résultat de négociations une fois que celles-ci sont terminées.
Certains
dirigeants de partis politiques ont commencé, depuis quelques mois, à parler
de la nécessité de « maîtriser »
ou « d’humaniser » la
mondialisation néo-libérale. Mais à ce jour, aucun parti politique ayant des
responsabilités gouvernementales dans les pays de l’Union européenne n’a
remis en question les procédures « démocraticides » qui caractérisent
la mise en oeuvre de l’AGCS .
Réagir
L’histoire
atteste – et les privatisations des deux dernières décennies confirment –
que la recherche de l’intérêt particulier est peu compatible avec la
satisfaction de l’intérêt général.
La
reconnaissance de droits fondamentaux est un des grands acquis du XXe siècle.
Ces droits, consacrés dans des pactes internationaux, imposent à l’autorité
publique, à quelque niveau qu’elle s’exerce, le devoir de réunir les
moyens de les mettre en oeuvre. Les services publics constituent un de ces
moyens.
Il
apparaît donc, comme une priorité d’extrême urgence, face aux menaces
programmées par l’AGCS, qu’il faut :
1)
exiger
un moratoire sur les négociations en cours ;
2)
dénoncer
l’opacité de ces négociations et l’absence de tout contrôle démocratique ;
3)
adopter
et faire reconnaître en Europe d’abord et à l’OMC ensuite une définition
claire de la notion de service public,
4) décréter que l’AGCS ne s’applique pas aux services publics.
(à
suivre)
Dr
Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès
d'Oxfam Solidarité (Bruxelles) et de l'URFIG (Bruxelles-Paris-Genève)