Document URFIG - Analyse relative à l'ADPIC
LES
BREVETS CONTRE LA SANTE
Quand
les pays riches protègent leurs
multinationales pharmaceutiques
au
détriment de la santé des peuples
(Dr Raoul Marc JENNAR, 30 octobre 2002)
The patent system is a trade-off : it encourages innovation, but it pushes up the price of existing inventions and so restricts the number of people who benefit from them. For a rich country, where most citizen can afford patented medecine, intellectual property protection is a good trade-off ; for a poor country, where most cannot afford such medecines, it makes no sense.
La « Déclaration
de Doha sur l’ADPIC et la santé publique » a le mérite de reconnaître
l’impact des brevets sur les prix des médicaments et le problème fondamental
qui est ainsi posé de l’accès aux médicaments et du droit à la santé.
C’est le principal résultat
de Doha. En dépit des déclarations tapageuses des gouvernements européens et
de la Commission, force est de constater que ce constat n’a guère engendré
de mesures conséquentes. La Déclaration se contente de formuler le voeu que
l’ADPIC « n’empêche pas les Membres de prendre des mesures pour protéger la
santé publique » et affirme que « ledit
accord peut et devrait être interprété et mis en oeuvre d’une manière qui
appuie le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en
particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments. »
Ce fut le maximum obtenu à
Doha. Un voeu pour que les pays qui disposent d’une capacité de production
pharmaceutique puissent produire des médicaments génériques en ayant recours
aux « licences obligatoires.» Ce qui concerne, en fait, dans le Sud, une
minorité de pays (Afrique du Sud, Brésil, Thaïlande, …). Ceux-ci n’étant
pas rangés dans la catégorie des PMA, l’ADPIC sera d’application intégralement
à partir de 2006. Quant à l’immense majorité de pays confrontés à de
multiples et graves problèmes de santé publique et qui n’ont pas de capacité
de production et doivent donc importer (c’est la technique des « importations
parallèles »), les pays riches, à Doha, ont fait une seule concession :
renvoyer la discussion à l’OMC au sein de laquelle une négociation doit
aboutir pour la fin 2002.
A moins de trois mois de
cette échéance, aucun progrès substantiel n’a été accompli dans cette négociation.
Tout le débat porte sur les articles 30 et 31 de l’ADPIC (voir annexe). Les
positions se présentent comme suit :
D’une manière générale,
les PVD recherchent une solution qui recouvre largement tous les problèmes de
santé publique (y compris la technologie médicale), tandis que les pays riches
cherchent par tous les moyens à limiter l’ampleur des matières en discussion
(quelle sorte de pays ; quelle sorte de situation de santé publique ; quel type
de médicament ; comment définir le manque de capacité de production ; quelle
définition du « marché local », etc).
- les USA, le Canada et la
Suisse sont radicalement opposés à toute modification du texte. Les USA
proposent soit un moratoire sur les différends relatifs aux importations de médicaments
génériques dans des pays qui peuvent prouver une situation de crise sanitaire,
soit une dérogation à la mise en oeuvre de l’ADPIC pour les pays qui veulent
exporter des médicaments génériques vers des pays qui font face à de telles
urgences.
- 14 PVD, conduits par le Brésil
et l’Inde, demandent une révision de l’article 30. Celui-ci laisse à
chaque Etat membre de l’OMC le loisir de définir des exceptions aux droits du
détenteur de brevet. Ces pays veulent une interprétation de la portée des
exceptions aux droits conférés par les brevets qui ne soit plus soumise à
l’approbation préalable des détenteurs de brevets. Ces pays demandent de
pouvoir, d’autorité, décréter une « exception pour la production » en
faveur d’un pays tiers confronté à des problèmes de santé publique. Cette
formule permet une mise en oeuvre automatique, et donc rapide, du droit
d’exporter des médicaments génériques vers les pays qui en ont besoin.
- l’Union européenne, qui
a fourni de gros efforts de communication pour faire croire qu’elle partageait
les préoccupations des pays pauvres, a adopté en fait, à Genève, un profil
très en retrait par rapport à la Déclaration de Doha. Elle privilégie de
compléter l’article 31 par un paragraphe comprenant un ensemble de
dispositions encadrant très étroitement l’octroi de la licence obligatoire
avant que l’exportation puisse avoir lieu, dispositions qui concernent à la
fois le pays producteur et le pays importateur.
La Commission européenne,
dans sa communication (18 juin 2002), a proposé une approche très restrictive
et très limitée :
·
elle ne parle plus de
santé publique, mais se limite à 3 épidémies - sida, tuberculose, paludisme
- à l’exclusion des autres épidémies possibles
·
les dispositions ne bénéficient
en fait qu’aux PMA, le souci étant de limiter le plus possible le nombre de
pays éligibles ;
·
il n’y a pas de définition
précise de « la capacité de production insuffisante ;»
·
les pays éligibles
doivent satisfaire à un grand nombre de contraintes réglementaires et
administratives dont certaines sont tout simplement impraticables, vu le manque
de ressources humaines, les faiblesses institutionnelles et administratives, la
pauvreté des moyens financiers ;
·
elle fait dépendre
l’approvisionnement d’un pays en médicaments d’une procédure longue et
incertaine dans laquelle interviennent plusieurs
acteurs (détenteurs du brevet, pays producteurs …) alors qu’il s’agit de
situations d’urgence sanitaire ;
·
elle conditionne le
droit d’importer des médicaments génériques à la mise en oeuvre de moyens
administratifs d’encadrement et de contrôle dont ils sont dépourvus.
La proposition de l’Union
européenne traduit un souci de respecter rigoureusement le principe de
non-discrimination à la base de l’idéologie libérale et s’efforce donc de
protéger les droits des entreprises pharmaceutiques dans un système de
libre-concurrence qui se soucie peu du droit fondamental à la santé.
L’exercice de conciliation entre intérêts privés et intérêt général
auquel se livre la Commission européenne aboutit à une proposition qui ne
permettra pas de réaliser les objectifs qu’elle prétend poursuivre.
Des ONG du Nord et du Sud (Oxfam,
MSF, Third World Network …) soutiennent fermement une solution qui passe par
une interprétation de l’article 30 permettant aux pays du Sud ayant une
capacité de production de répondre rapidement à des besoins de santé
publique (médicaments, mais également d’autres produits nécessaires en matière
de santé). Si un pays inscrit les dispositions pertinentes dans sa législation
sur les brevets, il peut ensuite exporter automatiquement en réponse à une
demande d’un tiers pays.
Il est urgent de demander
aux quinze gouvernements de l’Union européenne et aux parlementaires qui les
soutiennent d’intervenir auprès de la Commission et du Conseil des Ministres
a)
pour qu’un débat ait
lieu au Conseil des Ministres sur les choix de la Commission européenne en
cette matière
b)
pour que la position de
la Commission soit revue et que mandat lui soit donné de défendre une solution
s’appuyant sur l’article 30.
Dr Raoul Marc Jennar
Chercheur auprès d’Oxfam
Solidarité
et de l’URFIG