URFIG

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Carte blanche publiée dans le journal belge LE SOIR du 6 mars 2003

 

par

 

André Mordant, Secrétaire général de la FGTB

Raoul Marc Jennar, URFIG

Pino Carlino, Secrétaire National de la C.S.C.

Dominique Weerts, Secrétaire général du CNCD-Opération 11 11 11

Stefaan Declercq, Secrétaire général d'Oxfam-Solidarité

Arnaud Zacharie, porte-parole ATTAC Belgique

 

 

Accord général sur le commerce des services

On nous vend un chat dans un sac !

 

L’Organisation mondiale du commerce (OMC) regarde le monde à travers les lunettes du marché. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) qui y est négocié constitue un projet de société néo-libéral qui ne nous convient pas. En effet, le monde n'est pas une marchandise.

 

Ce texte, très technique, fait peser de lourdes menaces sur nos vies et nos démocraties. D’une part, son champ d’application inclut des services publics à libéraliser puis privatiser. D’autre part, il permet aux Etats d’intervenir contre des législations d’autres Etats considérées comme des « barrières non nécessaires au commerce », des normes « plus rigoureuses que nécessaires pour assurer la qualité du service »… Plus simplement, l'objectif de l’AGCS vise à réduire le rôle de la puissance publique dans l’organisation de l’économie.

 

Pour le 31 mars, la liste des « offres » de secteurs que chaque pays accepte d’ouvrir à la concurrence des 145 Etats membres doit être transmise à l'OMC.

 

Le 6 février, la Commission européenne a communiqué aux quinze gouvernements un premier projet. Le 26, l’arc-en-ciel a fait ses premières remarques. Il s'est implicitement inscrit dans un processus qui n’offre pas les garanties d’un débat démocratique.

 

Sans entrer dans l'analyse de ces textes, il faut constater que la Commission entend exporter un modèle de développement qui n'est pas bon. Elle manifeste aussi la volonté de poursuivre au niveau de l'OMC le démantèlement d'un modèle social entrepris à l'échelon du continent (libéralisation totale du transport maritime, de la poste, ouverture sélective des frontières pour de la main-d'œuvre très spécialisée…). Et il ne s'agit que du début. Elle poursuivra son combat. L'AGCS n'a pas de fin.

 

Le dimanche 9 février, les syndicats, plusieurs organisations non-gouvernementales et des associations ont réuni dans les rues de Bruxelles près de 15.000 personnes inquiètes face à cette mécanique dangereuse. Dans la foule, on reconnaissait d'importants responsables rouges et verts. Les mots d’ordre étaient simples : application d’un moratoire dans la négociation, transparence des procédures, contrôle démocratique sur les négociations et définition des services publics qui les sorte du champ d’application de l’AGCS.

 

Aujourd’hui, aucune de ces revendications n’est rencontrée. Le gouvernement s’inscrit sans objection dans la procédure de la Commission. Il reporte ainsi la mise en œuvre de la revendication d’un moratoire pourtant inscrit dans le texte même des accords de Marrakech. Il était prévu d’évaluer secteur par secteur les effets de la libéralisation cinq ans après leur entrée en vigueur. Depuis 2000, cet exercice est repoussé.

 

Par ailleurs, le gouvernement n’a pris aucune disposition pour garantir la transparence des débats. Trois obstacles majeurs auraient dû être dépassés : la confidentialité imposée par la Commission, la technicité du document et un calendrier contraignant.

 

Les négociations de l’AGCS baignent dans un véritable culte du secret. Le Commissaire européen au commerce annonce qu’il rendra publiques les « offres »… après les avoir déposées à l’OMC. Quand il sera impossible des les modifier ! Le gouvernement fait des contorsions pour permettre un accès limité à ce document pour les Parlementaires, le Conseil national du Travail, le Conseil fédéral du développement durable… Tout cela frise l’hypocrisie sinon le ridicule dès lors que le texte est aujourd’hui disponible sur la toile (www.gatswatch.org). Par ailleurs, nous ne disposons pas encore officiellement des « demandes » de libéralisation effectuées par l’Union européenne, en notre nom, aux autres pays de l’OMC (http://www.polarisinstitute.org/gats/main.html). Rien ne justifie cette confidentialité à durée déterminée. Les États n' ont pas à plier l'échine à ce sujet.

 

La technicité des documents constitue une autre entrave à la démocratie. Les enjeux sont énormes mais les gouvernements nationaux n’ont pas estimé devoir faire un effort pour vulgariser les mécanismes complexes de ces négociations. Ce travail a été réalisé quasi exclusivement par les syndicats, les ONG et les associations. Même les experts se perdent en conjectures concernant l’interprétation de certaines dispositions des « offres » de la Commission. Le citoyen est de facto exclu des discussions. Ce n’est pas acceptable.

 

Le calendrier ne peut pas plus justifier les renoncements au minimum de transparence. Les échéances pour l’AGCS ont été fixées lors du sommet de l’OMC à Doha (Quatar) en novembre 2001. Dans le cadre de l’accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC), il avait également été décidé de régler la question de l’accès des pays en développement aux médicaments pour lutter contre les grandes épidémies avant 2003. Ce délai n’a pas été tenu. L’OMC, qui ne s'embarrasse pas de faire attendre les malades les plus pauvres, ne pourrait-elle patienter le temps nécessaire à l’exercice de la démocratie ?

 

Une seconde version des « offres » de la Commission est attendue. Le gouvernement et ses composantes progressistes ont l’opportunité de renverser la vapeur, d’effacer l’impression donnée aux citoyens que, avec l’AGCS, on va leur vendre un chat dans un sac.

 

 

Sont également signataires de ce texte :

ACI, Action Chrétienne Rurale des Femmes (ACRF), Bruxelles tous ensemble, CADTM, Centre d'éducation populaire André Genot (CEPAG), CNAPD, Collectif "Solidarité contre l'Exclusion : Emploi et revenus pour tous.", Collectif Solidarité Contre l'Exclusion Plein Emploi pour Tous asbl, Coordination Gaz-Electricité-Eau, Fédération des Etudiant(e)s Francophones FEF, Centre Tricontinental– CETRI, Fondation Joseph Jacquemotte, Forum Nord Sud, Frères des Hommes, FUCID, IEW Inter-Environnement Wallonie, Justice et Paix, Le Monde selon les femmes, Marches européennes, Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS), Radio Al Manar, Réseau Européen des Comités Oscar Romero, Groupe d'Appui pour la Justice et la Paix au Guatemala, Solidarité Mondiale, Solidarité Socialiste, Vie féminine