Document URFIG - Analyse relative à l'OMC

 

 

Une "assemblée parlementaire consultative" auprès de l'OMC : une "réforme" qui ne change rien

Dr Raoul Marc JENNAR

 

En dépit d’un processus de décision par consensus, qui manifeste des limites évidentes, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) souffre d’un grave déficit démocratique déjà analysé par ailleurs. Pour « démocratiser l’OMC, » certains proposent la création d’une « assemblée parlementaire consultative. » La présente note  examine les origines de cette proposition (1) et l’initiative de l’Union Inter-Parlementaire (2). Elle questionne la pertinence de cette proposition au regard des impératifs d’une véritable démocratisation de l’OMC (3).

1. L’émergence d’une proposition

1.1 L’initiative danoise

Au printemps 1999, le Ministère danois des Affaires étrangères faisait déposer par ses représentants au Comité 133 de la Commission européenne une note consacrée à « la création d’une assemblée consultative auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).1 » Cette assemblée serait composée de 2-3 parlementaires par pays membre de l’OMC. Elle n’aurait d’autre pouvoir que de formuler des avis. Elle se réunirait une fois par an. Elle pourrait créer des comités  traitant les différentes  matières de la compétence de l’OMC. Ses objectifs seraient de promouvoir la libéralisation du commerce, d’évaluer la mise en œuvre des buts de l’OMC, de débattre des principales questions à l’ordre du jour du Conseil général et de la Conférence ministérielle de l’OMC, de contribuer à son développement démocratique et de renforcer les liens entre l’OMC et la société civile. Cette assemblée disposerait d’un secrétariat établi au siège de l’OMC.

1.2 La proposition de la Commission européenne

Le 25 janvier 2000, dans une note au Comité 133 relative à des propositions de réforme du fonctionnement de l’OMC, la Commission européenne proposait de « tenir une assemblée annuelle des parlementaires originaires des Etats membres de l’OMC.2 » Cette assemblée consultative auprès de l’OMC offrirait, selon la Commission, « un forum pour un dialogue interparlementaire sur les principaux sujets discutés à l’OMC. » La Commission soulignait que les résolutions adoptées par cette assemblée n’auraient qu’une « nature consultative. »

Le 10 avril 2001, Le Commissaire européen pour le Commerce, M. Pascal Lamy, réitérait la proposition dans les termes suivants : « Nous avons proposé de tenir chaque année une réunion de l’OMC et, parallèlement, une réunion de parlementaires des Etats membres de l’OMC. Mais nous pensons également que l’établissement d’une assemblée parlementaire consultative auprès de l’OMC mérite d’être discutée.(…), pourvu que cette assemblée ne remette pas en cause la nature intergouvernementale de l’OMC , ni le principe de la séparation des pouvoirs entre les branches exécutives et législatives des Etats membres3»

1.3 L’initiative des chrétiens-démocrates (PPE)

En décembre 1999, pendant la troisième conférence ministérielle de l’OMC, à Seattle, des parlementaires de différents pays ont formulé une proposition visant à créer  une instance parlementaire afin, affirmaient-ils, d’assurer une plus grande démocratie et une plus grande transparence dans le fonctionnement de l’OMC. Cette idée fut reprise par la suite, au sein du Parlement européen, par M. Konrad Schwaiger, député chrétien-démocrate.

Le 26 octobre 2000, la conférence des présidents du Parlement européen a créé un groupe de travail chargé de formuler une proposition tendant à créer un mécanisme parlementaire auprès de l’OMC et d’étudier la possibilité de convoquer à Bruxelles, au printemps 2001, une réunion préparatoire de parlementaires des Etats membres de l’OMC. Le 10 avril 2001, le Parlement européen a organisé un séminaire sur le thème « Commerce, développement et démocratie : la nécessité de réformer l’OMC. » Au cours de ce séminaire, la création d’une « assemblée parlementaire consultative » auprès de l’OMC comme réforme susceptible de rendre l’OMC plus démocratique a été avancée par plusieurs intervenants.

1.4 L’initiative de l’Union Inter-Parlementaire

L’Union Inter-Parlementaire, une organisation internationale qui compte des représentants de 141 parlements nationaux, a décidé, en février dernier, d’organiser une réunion parlementaire de ses membres sur le thème « Pour un système commercial multilatéral libre, juste et équitable : la dimension parlementaire. » Cette réunion aura lieu à Genève les 8 et 9 juin.

Selon l’UIP, l’objectif de cette réunion est d’offrir aux parlementaires qui travaillent sur les dossiers commerciaux « une occasion unique en son genre d’échanger des vues et de comparer des expériences avec des collègues d’autres parlements et des représentants gouvernementaux des Etats souverains membres de l’OMC4»

L’ordre du jour propose trois thèmes de discussion :

a.       la mondialisation sous l’angle du commerce international : rôle et action des parlements en tant que relais entre le gouvernement et le peuple. Sur ce thème, une intervention de M. Mike Moore, Directeur général de l’OMC est prévue ;

b.      l’OMC et le système commercial international : le rôle du parlement en matière législative ;

c.       le contrôle parlementaire en ce qui concerne les négociations commerciales futures, en particulier sous l’angle du développement.

Les parlementaires présents devraient adopter un « document final » dont l’avant-projet justifie les commentaires formulés sous 2.2.

2. Le parti pris de l’Union Inter-Parlementaire

2.1              La présentation générale de cette réunion tend, par le vocabulaire utilisé – « fournir une dimension parlementaire au système commercial multilatéral », « le rôle législatif », « le contrôle parlementaire » - à faire croire qu’une assemblée parlementaire spécialisée sur les questions du commerce international pourrait accomplir les fonctions essentielles de l’institution parlementaire. Cette hypothèse est totalement exclue en l’état actuel des textes. Elle impliquerait un nouveau traité par lequel les Etats signataires transféreraient à une telle assemblée les attributions indispensables à l’exercice de tels pouvoirs. Même dans l’exemple le plus avancé d’organisation supranationale intégrée – l’Union européenne – de tels pouvoirs n’ont pas été conférés au Parlement européen. Comme le rappelait le Directeur général de l’OMC, « L’OMC est avant tout une organisation intergouvernementale. Elle n’est responsable vis-à-vis des peuples qu’au travers de leurs gouvernements. 5 » On ne peut utiliser indifféremment une terminologie fixée par la doctrine. Un « parlement » investit le gouvernement, adopte les lois, vote les budgets et les comptes et contrôle le pouvoir exécutif. Une « assemblée consultative » adopte des textes qui n’ont aucun effet de droit. Utiliser les termes qui caractérisent le fonctionnement d’un parlement pour parler d’une assemblée consultative en la baptisant « assemblée parlementaire consultative », c’est tout simplement             créer une illusion.

2.2              La tonalité des documents préparatoires est manifestement favorable aux orientations néo-libérales du système commercial multilatéral tel qu’il fonctionne sous l’administration de l’OMC. Outre le fait que le seul orateur non-membre de l’UIP invité à cette réunion soit le Directeur général de l’OMC lui-même, la déclaration du Président du Conseil de l’UIP confirme cette observation puisqu’il a annoncé qu’une des questions importantes qui devra être traitée lors de cette réunion concerne l’application des accords de l’OMC, en particulier par les pays en développement 6. La motivation véritable de l’UIP apparaît dès lors sous son vrai jour : exercer des pressions sur les pays en développement pour qu’ils appliquent des accords qu’ils n’ont pas négociés et qui leur ont été présentés, en 1994, comme « à prendre ou à laisser. Il n’est nulle part question d’offrir à des parlementaires l’occasion d’un regard critique, indépendant. Ce qui est demandé aux parlementaires, ce n’est pas de se faire les porte-parole de leurs électeurs, de leur circonscription ou de leur pays. Ce n’est pas davantage de se faire les analystes indépendants du fonctionnement de l’OMC et de la manière dont sont mis en œuvre les accords qu’elle administre. C’est encore moins de formuler des propositions pour réformer le système commercial international afin de le mettre en concordance avec les proclamations. Ce qui est demandé aux parlementaires, c’est de se faire les propagandistes de l’OMC, de ses règles inéquitables et de leur application déséquilibrée. « Les parlementaires pourraient assister les gouvernements pour réduire le fossé entre l’OMC et les électeurs »suggérait le Directeur général de l’OMC, il y a peu.7 Les protagonistes canadiens du projet d’assemblée consultative ne disent pas autre chose en affirmant que « la valeur ajoutée consistera à augmenter, au fil du temps, la confiance et la compréhension de la nécessité d’un système mondial d’échanges commerciaux ouvert et renforcé.8 »

2.3              Le problème de fond posé par des accords du type de ceux qu’administre l’OMC n’est pas abordé. Les questions qui relèvent, depuis 1995, des attributions de l’OMC concernent directement la vie des peuples. Or, ces questions sont réglées, selon les procédures de la diplomatie traditionnelle, par des traités négociés et approuvés par les gouvernements et ratifiés par les parlements. Nul ne conteste que les actes diplomatiques sont ceux qui échappent le plus au contrôle démocratique, suivant en cela une tradition séculaire qui réserve au pouvoir exécutif les relations entre Etats. Les dispositions constitutionnelles d’un très grand nombre de pays confient au pouvoir exécutif  une compétence quasi exclusive en ces matières. Dès lors, dans la mesure où elle confirme un acte de l’Exécutif, la procédure parlementaire de la ratification constitue en elle-même un acte de confiance à cet Exécutif (le gouvernement, voire, comme en France, le chef de l’Etat), ce qui limite très largement la marge de manœuvre des assemblées parlementaires. Tous les spécialistes du droit parlementaire conviennent que les procédures de ratification donnent rarement lieu à débat. Or, une évolution considérable est en cours depuis quelques décennies qui se traduit par l’émergence de règles et d’institutions intergouvernementales relatives à des matières qui dépassent, et de très loin, les questions traditionnelles des relations entre Etats, stricto sensu. L’émergence du multilatéralisme déplace vers une sphère qui, jusqu’ici, n’a pas été soumise aux exigences démocratiques, le traitement de matières traitées jusqu’il y a peu dans un cadre national où le contrôle démocratique pouvait s’exercer. Du point de vue de la paix et de la solidarité entre les peuples, le multilatéralisme constitue sans nul doute un progrès, mais du point de vue de la démocratie, en l’absence de mécanismes de contrôle issus de la légitimité du suffrage universel, c’est une régression. Dans les cas de l’Union européenne et de l’OMC, il engendre des institutions opaques, irresponsables et oligarchiques dont les pouvoirs ne cessent de croître par le biais de normes qui ont la prééminence sur le droit national des Etats membres. Il vide les parlements nationaux des attributions qui fondent leur légitimité. On s’étonne qu’une organisation comme l’UIP, qui entend promouvoir la fonction parlementaire et la démocratie représentative, ait écarté cette question cardinale.

3. Une initiative qui ne change rien

Créer une « assemblée parlementaire consultative » auprès de l’OMC n’est pas une réponse à la nécessité de démocratiser l’OMC. En particulier,

-         cela ne résout pas le problème des « réunions informelles » où les pays industrialisés négocient les décisions les plus importantes;

-         cela ne réduit pas l’inégalité de fait entre pays quant à la participation effective et efficiente à tous les travaux de tous les organes de l’OMC ;

-         cela ne corrige pas les multiples violations des principes généraux du droit qui affectent le mécanisme de règlement des différends.

Créer une telle assemblée n’apporte rien. Faut-il mettre en place une nouvelle et onéreuse institution pour remplir une fonction qui doit – même si des défaillances criantes sont observées – être remplie par chaque parlement national ? Les parlementaires qui seraient cooptés pour se rendre aux réunions de cette assemblée ne pourraient-ils recevoir dans leur parlement national -  par exemple au sein d’une commission ad hoc dotée éventuellement des pouvoirs conférés à une commission parlementaire classique - les informations qu’ils obtiendraient en se rendant à Genève ?

Créer une telle institution affaiblit la fonction parlementaire. En quittant leur parlement national où ils détiennent un pouvoir authentique (même s’il est souvent galvaudé), les parlementaires cooptés devraient abandonner les pouvoirs qu’ils détiennent du suffrage universel pour devenir simplement les auteurs d’avis sans impact réel.

Créer une telle institution pour « rapprocher l’OMC des citoyens », c’est faire appel à un outil obsolète. Tous les spécialistes de la science politique et du droit parlementaire s’accordent, depuis de nombreuses années, pour observer et analyser, dans de très nombreux pays, la crise de l’institution parlementaire et de la démocratie représentative9. Proposer une assemblée consultative, c’est proposer la version impuissante d’un modèle lui-même défaillant.

Enfin, proposer une telle institution, c’est participer à une tentative de légitimation d’une OMC dont la création résulte d’un véritable coup de force diplomatique des pays industrialisés.                                                               



1 Ministry of Foreign Affairs, Denmark. Establishing a Consultative Assembly to the WTO : Considerations concerning Pratical Aspects. File 97.A.40.a. 133 Committee, 477/99, 8 September 1999.

2 European Commission, DG Trade, Note for the Attention of the 133 Committee, Improving the functioning of the WTO : Suggestions for a way forward, 22 January 2000.

3 European Parliament Seminar, Trade, Development and Democracy : the need for reform of the WTO, Speech by European Trade Commissioner Pascal Lamy, Brussels, 10 April 2001. Que ce défenseur intransigeant de la confusion entre les attributions législatives, exécutives et judiciaires de l’OMC s’érige en gardien de la séparation des pouvoirs ne manque pas de piquant !

4 Inter-Parliamentary Union. Summary of decisions taken by the preparatory committee of the parliamentary meeting on international trade. Geneva, 23-24 février 2001.Union interparlementaire. Documents de présentation de la réunion des 8 et 9 juin 2001. Genève, 30 avril 2001.

5 European Parliament Seminar, Trade, Development and Democracy : the need for reform of the WTO. Address by Mike Moore, Director-General of the WTO, Brussels, 10 April 2001.

6 Communiqué de presse de l’UIP, n° 111, Genève, 24 février 2001.

7 European Parliament Seminar, Trade, Development and Democracy : the need for reform of the WTO. Address by Mike Moore, Director-General of the WTO, Brussels, 10 April 2001.

8 Mouvement canadien pour une fédération mondiale. “Vers une assemblée parlementaire pour l’OMC”, document de réflexion présenté lors du séminaire organisé par le Parlement européen, le 10 avril 2001.

9 Parmi une littérature très abondante, signalons un document de synthèse : JENNAR Raoul Marc, Le Parlement : une institution en crise. Bruxelles : Centre de Recherche sur les Institutions Socio-Politiques (CRISP), 1983, 66 p.