Document URFIG - Analyse relative à l'ADPIC

 

 

LES BREVETS CONTRE LA SANTE

Quand les pays riches protègent leurs  multinationales pharmaceutiques

au détriment de la santé des peuples

(Dr Raoul Marc JENNAR, 30 octobre 2002)

 

 

The patent system is a trade-off : it encourages innovation, but it pushes up the price of existing inventions and so restricts the number of people who benefit from them. For a rich country, where most citizen can afford patented medecine, intellectual property protection is a good trade-off ; for a poor country, where most cannot afford such medecines, it makes no sense.

  Sebastien Mallaby (Washington Post, 7 October 2002)

 

La « Déclaration de Doha sur l’ADPIC et la santé publique » a le mérite de reconnaître l’impact des brevets sur les prix des médicaments et le problème fondamental qui est ainsi posé de l’accès aux médicaments et du droit à la santé.

C’est le principal résultat de Doha. En dépit des déclarations tapageuses des gouvernements européens et de la Commission, force est de constater que ce constat n’a guère engendré de mesures conséquentes. La Déclaration se contente de formuler le voeu que l’ADPIC « n’empêche pas les Membres de prendre des mesures pour protéger la santé publique » et affirme que « ledit accord peut et devrait être interprété et mis en oeuvre d’une manière qui appuie le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments. »

Ce fut le maximum obtenu à Doha. Un voeu pour que les pays qui disposent d’une capacité de production pharmaceutique puissent produire des médicaments génériques en ayant recours aux « licences obligatoires.» Ce qui concerne, en fait, dans le Sud, une minorité de pays (Afrique du Sud, Brésil, Thaïlande, …). Ceux-ci n’étant pas rangés dans la catégorie des PMA, l’ADPIC sera d’application intégralement à partir de 2006. Quant à l’immense majorité de pays confrontés à de multiples et graves problèmes de santé publique et qui n’ont pas de capacité de production et doivent donc importer (c’est la technique des « importations parallèles »), les pays riches, à Doha, ont fait une seule concession : renvoyer la discussion à l’OMC au sein de laquelle une négociation doit aboutir pour la fin 2002.

A moins de trois mois de cette échéance, aucun progrès substantiel n’a été accompli dans cette négociation. Tout le débat porte sur les articles 30 et 31 de l’ADPIC (voir annexe). Les positions se présentent comme suit :

D’une manière générale, les PVD recherchent une solution qui recouvre largement tous les problèmes de santé publique (y compris la technologie médicale), tandis que les pays riches cherchent par tous les moyens à limiter l’ampleur des matières en discussion (quelle sorte de pays ; quelle sorte de situation de santé publique ; quel type de médicament ; comment définir le manque de capacité de production ; quelle définition du « marché local », etc).

- les USA, le Canada et la Suisse sont radicalement opposés à toute modification du texte. Les USA proposent soit un moratoire sur les différends relatifs aux importations de médicaments génériques dans des pays qui peuvent prouver une situation de crise sanitaire, soit une dérogation à la mise en oeuvre de l’ADPIC pour les pays qui veulent exporter des médicaments génériques vers des pays qui font face à de telles urgences.

- 14 PVD, conduits par le Brésil et l’Inde, demandent une révision de l’article 30. Celui-ci laisse à chaque Etat membre de l’OMC le loisir de définir des exceptions aux droits du détenteur de brevet. Ces pays veulent une interprétation de la portée des exceptions aux droits conférés par les brevets qui ne soit plus soumise à l’approbation préalable des détenteurs de brevets. Ces pays demandent de pouvoir, d’autorité, décréter une « exception pour la production » en faveur d’un pays tiers confronté à des problèmes de santé publique. Cette formule permet une mise en oeuvre automatique, et donc rapide, du droit d’exporter des médicaments génériques vers les pays qui en ont besoin.

- l’Union européenne, qui a fourni de gros efforts de communication pour faire croire qu’elle partageait les préoccupations des pays pauvres, a adopté en fait, à Genève, un profil très en retrait par rapport à la Déclaration de Doha. Elle privilégie de compléter l’article 31 par un paragraphe comprenant un ensemble de dispositions encadrant très étroitement l’octroi de la licence obligatoire avant que l’exportation puisse avoir lieu, dispositions qui concernent à la fois le pays producteur et le pays importateur.

La Commission européenne, dans sa communication (18 juin 2002), a proposé une approche très restrictive et très limitée :

·        elle ne parle plus de santé publique, mais se limite à 3 épidémies - sida, tuberculose, paludisme - à l’exclusion des autres épidémies possibles

·        les dispositions ne bénéficient en fait qu’aux PMA, le souci étant de limiter le plus possible le nombre de pays éligibles ;

·        il n’y a pas de définition précise de « la capacité de production insuffisante ;»

·        les pays éligibles doivent satisfaire à un grand nombre de contraintes réglementaires et administratives dont certaines sont tout simplement impraticables, vu le manque de ressources humaines, les faiblesses institutionnelles et administratives, la pauvreté des moyens financiers ;

·        elle fait dépendre l’approvisionnement d’un pays en médicaments d’une procédure longue et incertaine dans laquelle interviennent plusieurs acteurs (détenteurs du brevet, pays producteurs …) alors qu’il s’agit de situations d’urgence sanitaire ;

·         elle conditionne le droit d’importer des médicaments génériques à la mise en oeuvre de moyens administratifs d’encadrement et de contrôle dont ils sont dépourvus.

La proposition de l’Union européenne traduit un souci de respecter rigoureusement le principe de non-discrimination à la base de l’idéologie libérale et s’efforce donc de protéger les droits des entreprises pharmaceutiques dans un système de libre-concurrence qui se soucie peu du droit fondamental à la santé. L’exercice de conciliation entre intérêts privés et intérêt général auquel se livre la Commission européenne aboutit à une proposition qui ne permettra pas de réaliser les objectifs qu’elle prétend poursuivre.

Des ONG du Nord et du Sud (Oxfam, MSF, Third World Network …) soutiennent fermement une solution qui passe par une interprétation de l’article 30 permettant aux pays du Sud ayant une capacité de production de répondre rapidement à des besoins de santé publique (médicaments, mais également d’autres produits nécessaires en matière de santé). Si un pays inscrit les dispositions pertinentes dans sa législation sur les brevets, il peut ensuite exporter automatiquement en réponse à une demande d’un tiers pays.

Il est urgent de demander aux quinze gouvernements de l’Union européenne et aux parlementaires qui les soutiennent d’intervenir auprès de la Commission et du Conseil des Ministres

a)      pour qu’un débat ait lieu au Conseil des Ministres sur les choix de la Commission européenne en cette matière

b)      pour que la position de la Commission soit revue et que mandat lui soit donné de défendre une solution s’appuyant sur l’article 30.

 

Dr Raoul Marc Jennar

Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité

et de l’URFIG