Document URFIG - Analyse relative à l'ADPIC

 

 

DROITS DE PROPRIETE INTELLECTUELLE

 ET BIODIVERSITE, ADPIC ET CDB,

des approches contradictoires

 (Dr Raoul Marc JENNAR, 8 mai 2002) 

 

Il me semble important, en guise d’introduction, de souligner le cadre réel du débat provoqué par la question de la biodiversité au regard des exigences des droits de propriété intellectuelle. La technicité des problématiques en cause fait trop souvent oublier, en effet, que le rapport entre ces problématiques s’inscrit dans le cadre des rapports Nord-Sud et constitue en fait un des dossiers majeurs où les intérêts des pays industrialisés s’opposent aux intérêts des pays en développement. D’un côté le Nord, qui possède le savoir et le savoir-faire, tout particulièrement dans le domaine de la biotechnologie et, plus précisément, de l’ingénierie génétique et qui entend en retirer des profits substantiels ; de l’autre côté le Sud, riche d’une formidable biodiversité,  qui entend garder la maîtrise de ce patrimoine naturel afin de le préserver durablement et d’en user comme outil de développement.

C’est à la lumière de cette problématique Nord-Sud qu’il convient d’examiner les rapports entre ces deux instruments internationaux que sont d’une par l’Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce (ADPIC), administré par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et la Convention sur le Respect de la Biodiversité.

C’est aussi à la lumière du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (adopté en 1966 ; entré en vigueur en 1976) qu’il faut réfléchir aux priorités qu’il y a lieu d’établir dans un ordre juridique international de plus en plus riche, certes, mais qui manque dramatiquement d’une hiérarchie des normes cohérent avec les principes fondateurs issus de ce Pacte international. Il y a lieu ici de relire le 2e paragraphe de son premier article : « Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel, et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. » 

L’examen comparatif des deux instruments a provoqué des réactions diamétralement opposées.

1.     il y a entre l’ADPIC et la CDB des contradictions générales qui peuvent se résumer comme suit :

a)     l’ADPIC et la CDB poursuivent des objectifs concurrents et contradictoires : le premier privatise la biodiversité, le second la protège;

b)     l’ADPIC et la CDB donnent corps à deux systèmes de droit opposés : l’ADPIC introduit des droits individuels privés sur les ressources biologiques, alors que la CDB consacre le droit des Etats et des communautés indigènes; la protection de la diversité biologique est impossible dans le cadre d’un système global de droits de monopole privés;

c)     le régime établi par l’ADPIC de droit de propriété privée contrarie l’application des dispositions de la CDB sur l’accès au ressources biologiques, l’échange des informations technologiques et le partage équitable des bénéfices.

d)     Le règlement des conflits fait appel à des mécanismes juridiques totalement différents et incompatibles.

2.     De manière plus précise, on relève six contradictions majeures entre l’ADPIC et la CDB :

a)     La CDB, conformément au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, affirme que les Etats jouissent d’un droit souverain sur leurs ressources biologiques. L’ADPIC établit que les ressources naturelles doivent être soumises au droit privé de propriété intellectuelle. Alors que le principe de la souveraineté nationale implique le droit d’interdire les droits de propriété intellectuelle  - c’est-à-dire la privatisation – sur les formes variées de la vie, l’ADPIC impose ces droits.

b)     La CDB consacre un principe en vertu duquel l’exploitation des ressources biologiques doit s’accompagner d’un partage équitable des bénéfices. Ni ce partage, ni un mécanisme qui l’organiserait entre le pays donateur du matériel biologique et le détenteur ne sont prévus dans l’ADPIC. Celui-ci nie le droit à un partage des bénéfices conférés par la CDB aux pays en développement, principale source du matériel biologique.

c)     En matière de partage des bénéfices, la CDB confère aux Etats des droits particuliers en ce qui concerne les connaissances traditionnelles et les innovations relatives à l’utilisation de la diversité biologique. Ces droits sont niés par la privatisation organisée par l’ADPIC.

d)     La CDB impose, préalablement à tout accès à des ressources biologiques, une obligation d’information des autorités nationales et des communautés locales ainsi que leur consentement et leur participation. L’ADPIC ne contient aucune disposition relative à cet indispensable consentement éclairé des Etats et des populations propriétaires des ressources biologiques. Ce silence de l’ADPIC et les contraintes de brevetage imposées par l’article 27.3 (b) constituent un véritable légalisation de la biopiraterie.

e)     La CDB confie aux Etats le devoir de protéger la biodiversité et de veiller à son usage durable dans l’intérêt général de l’humanité et en particulier dans la perspective des obligations qui leur sont faites de garantir le droit à l’alimentation et le droit à la santé. L’ADPIC confie aux firmes privées détentrices des brevets cette protection de l’intérêt général. La CDB donne la priorité à l’intérêt général, l’ADPIC donne la priorité aux intérêts privés.

f)      La CDB, en cas de conflit, met en place un dispositif de négociation, de médiation et d’arbitrage qui débouche, en cas d’échec, sur la saisine de la Cour Internationale de Justice, une authentique cour de justice obéissant aux principes fondamentaux du droit. L’ADPIC confie le règlement des conflits à l’organe de règlement des différends de l’OMC qui n’offre aucune garantie d’une justice équitable et impartiale et qui ne prend en compte que les seuls critères du libre-échange.

g)     D’un point de vue strictement juridique, les articles  8.j, 12.c, 15.6, 15.7, 16.1, 16.3, 17, 18, 19.1, 19.2, 22.1 et 27 de la CDB sont vidés de leur contenu par l’ADPIC.