Document URFIG - Analyse relative à la globalisation

 

Interview de Raoul Marc JENNAR

("Le Soir", Bruxelles, 30 juin 2000)

 

Quel est l'objectif de votre déplacement à Millau?

C'est un geste de solidarité envers José Bové et ses camarades. J'ai 54 ans et j'étais dans les combats non violents du Larzac au début des années 70... J'aime souligner cet aspect de José Bové: il n'a pas détruit un McDonald's, il l'a démonté! C'était une forme d'action non violente, de protestation contre un modèle de société que la globalisation veut imposer: une société uniforme, qui ne respecte pas les diversités.
D'autre part, le procés de José Bové est l'occasion d'activités pour les militants anti-mondialisation. Un réseau d'une soixantaine d'ONG européennes, en voie de constitution, tient sa deuxième réunion en marge du procès, après une première rencontre à Bruxelles, le 4 mai. Cela va être l'occasion de conforter ce réseau, dont l'objectif est de cibler l'Union européenne comme acteur décisif de la mondialisation, comme soutien majeur aux politiques voulues et mises en oeuvre par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Toujours en marge du procès, on va faire le procès de la mondialisation, avec une série d'ONG.


Le mouvement de protestation contre la mondialisation est-il en train de se structurer?

C'est certain qu'il y a un effort de structuration au niveau européen. Parce qu'il y a la construction européenne, sur laquelle nous portons un regard critique.
Mais nous tenons aussi à conserver ce qui fait la spécificité de cette internationale d'un nouveau genre, qui ne prétend pas imposer un modèle de société et qui n'obéit pas à un centre. Je crois que ce qui se crée depuis Seattle, c'est une internationale de la diversité, de citoyens, qui se sentent de moins en moins représentés par les partis politiques, mais qui se sentent de plus en plus concernés par les décisions prises par les gouvernements. Sans nécessairement s'embrigader dans une structure disciplinée, obéissant à des mots d'ordre. On a au départ des motivations différentes, parce que l'on a, dans nos expériences respectives, une confrontation aux réalités qui est variée. Mais on se retrouve sur un certain nombre d'analyses et sur une formidable attente pour une société humaine qui ne serait pas organisée en fonction du critère de l'argent.

Les pouvoirs installés qui voient monter en puissance cette société civile lui reprochent souvent son manque de légitimité par rapport aux élus ...

Mettre en cause la légitimité de ceux qui s'organisent dans des associations, c'est mettre en cause leur légitimité de citoyens! Cette nouvelle internationale a pris au sérieux un certain nombre de textes, de décisions, que les partis politiques et les gouvernements ont initiés depuis une cinquantaine d'années, mais qu'ils ne respectent qu'en fonction des opportunités. Nous croyons à la Charte des Nations unies, à la Déclaration universelle des droits de l'homme, au Pacte sur les droits économiques et sociaux. Nous y croyons parce qu'ils permettent de construire un monde basé sur le droit des personnes et pas sur les jeux de pouvoir. Entre la légitimité de cette démarche de citoyens et la légitimité des partis politiques englués dans des jeux de pouvoir, je pense que c'est nous faire une mauvaise querelle que de soulever cette question de la légitimité. La vraie question, c'est: pourquoi un nombre croissant de citoyens ne se sentent-ils plus représentés par ceux qui sont légalement leurs représentants?

Le moment serait-il venu de passer à une structure plus politique, pour participer à l'exercice du pouvoir?


Je pense que nous sommes viscéralement attachés au respect de la diversité. Donc, les traductions politiques de nos attentes s'adaptent aux réalités de chacun de nos mouvements là où ils agissent, sur le terrain. Cela peut prendre des formes totalement différentes d'une localité à l'autre. Cela ne veut pas dire que certains ne choisiront pas la voie du parti politique pour faire avancer nos idées. Cela veut simplement dire qu'il ne faut pas s'attendre à ce que ce formidable mouvement international se transforme demain en un nouveau parti politique. Nous avons tiré les leçons de l'expérience d'un internationalisme dicté par un centre et tendant à imposer un modèle unique.

Après Seattle, on a eu l'impression que le soufflé était un peu retombé. Vrai ou faux?

Les réunions internationales qui construisent une société ultralibérale et marchande rythment aussi nos activités, puisqu'elles sont l'occasion de nous exprimer. On pourrait croire qu'entre ces réunions, il ne se passe rien. Au contraire. Nous passons énormément de temps à des travaux d'étude et d'analyse. Il y a un formidable travail d'échange d'informations grâce à internet et au courrier électronique: les réunions se font par le biais du Web.

Que reprochez-vous à la mondialisation?

De construire une société où la référence première est l'argent, le profit. Nous ne nions pas que les échanges commerciaux internationaux peuvent être un outil pour la croissance et le développement. Mais cela implique des conditions. Plutôt que parler de libre-échange, nous voulons un commerce encadré, sous contrôle. On constate au contraire que les pays riches n'ont jamais abandonné le projet colonial; ils lui ont donné des formes nouvelles. Il est moins coûteux de s'approprier les ressources des pays du Sud par le brevetage du vivant que de contrôler les territoires et les populations comme on le faisait au temps des colonies. Mais l'objectif est resté le même. Cela découle de la mise en oeuvre des accords de l'OMC. L'OMC ne construit pas un monde solidaire, mais un monde où les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Un monde où l'effort de contrôle citoyen sur le pouvoir est complètement cassé par cette mécanique de la mondialisation, qui transfère le pouvoir des Etats vers les sociétés transnationales, qui échappent à toute forme de contrôle.

L'alternative, c'est moins abattre la mondialisation que d'en proposer une autre forme?

La seule mondialisation qui serait acceptable serait celle qui émanerait des citoyens, par le biais de strutures politiques ou d'institutions. Il faut redonner la priorité au politique sur l'économique. Cela veut dire la construction d'un monde qui obéirait à des règles acceptées par la majorité, avec des institutions transparentes, démocratiques, soumises à contrôle...

Ce que n'est pas l'OMC?

Ce que n'est pas l'OMC! D'abord, ce n'est pas sa vocation. C'était peut-être le rêve des Nations unies, mais il est en panne. On ferait déjà un pas énorme si l'OMC faisait ce qu'elle dit faire, conformément au discours officiel: réguler le commerce international, le soumettre à des règles équitables, où le commerce serait effectivement une source de croissance pour tous ceux qui y participent.

Propos recueillis par
PHILIPPE REGNIER